Les monnaies locales : masterclass de Ingrid-Hélène Guet

Dans cette masterclass, Ingrid-Hélène Guet, experte en monnaies locales et porte-parole du Mouvement Sol, nous guide à travers les enjeux et le potentiel de ces monnaies qui redéfinissent les échanges économiques. À travers cette retranscription, découvrez les points forts de cette discussion passionnante : le fonctionnement, les objectifs et les défis des monnaies locales, et comment elles pourraient nous amener vers une économie plus juste et durable.

Ce soir, je vais vous parler des monnaies locales complémentaires et de façon générale du rôle qu’elles peuvent jouer comme levier de financement dans la transition écologique et juste. 

D’abord, un tout petit rappel sur les fonctions de la monnaie. En tant qu’humains, nous sommes des êtres sociaux, nous nous assemblons en groupes, nous faisons des sociétés… Et, au sein des sociétés, il y a des échanges. Parfois, les échanges sont déséquilibrés, ce qui crée une dette. Pour mesurer cette dette, il y a eu la création de la monnaie, qui est une des conventions qui a pu être créée par des sociétés pour résoudre cette question d’inégalité des échanges.

C’est une création sociale, c’est une création qui est basée sur le crédit, donc sur la confiance, et qui a besoin de répondre à des règles fixées et reconnues par une société à un moment donné. Les grandes fonctions qui sont assez connues, c’est d’abord le moyen d’échange. J’achète quelque chose, je donne la monnaie en échange. C’est une parade au troc.

Deuxièmement, l’unité de mesure, qui permet de mesurer la valeur d’un bien, doit être communément admise. Enfin, la troisième fonction de la monnaie est la réserve de valeur. L’argent peut servir à l’épargne, on peut l’utiliser plus tard, l’argent ne se périme pas.

Ce sont les trois fonctions de la monnaie : moyen d’échange, unité de mesure et réserve de valeur. Parfois, on en ajoute une quatrième, qui est le moyen de financement, le moyen d’investissement pour des produits qui seront créés plus tard et échangés ultérieurement.

La monnaie a toujours existé, c’est-à-dire qu’il n’y a pas réellement eu de période de troc. Dès le départ, il y avait des coquillages, des traits sur des planches de bois ou autre chose, mais des formes de reconnaissance valorisées de dettes ou autres. Ça a toujours existé. Il y a eu des monnaies dès la préhistoire, qui ont évolué par la suite.

Aujourd’hui, la politique n’a plus tellement de pouvoir sur la création de la monnaie, ce sont les banques qui ont ce rôle. Ce qui est créé par les banques centrales, qui elles-mêmes sont indépendantes des États, c’est de l’ordre de 5 à 10% de la création totale de la monnaie. Ce qui peut poser déjà une question démocratique et aussi poser une question sur la course à la croissance, parce que la monnaie créée par les banques, elle se crée lorsqu’on fait de la dette.

Donc, si je fais un emprunt, la monnaie est créée par la banque. Or, cet emprunt a des intérêts qui m’obligent quelque part à produire plus pour pouvoir rembourser la banque. Et donc, le système de création monétaire actuel est une course à la croissance qu’on ne peut pas forcément éviter.

Ce qui pose une question de nouveau aujourd’hui sur les questions de limites planétaires. Est-ce qu’on peut vraiment aller à la sobriété si on ne réfléchit pas à notre modèle monétaire tel qu’il est ? 

Les monnaies locales dans leur version moderne ont fait leur apparition en France dans les années 2010. Elles sont reconnues par la loi sur l’ESS de 2014 et inscrites dans le Code monétaire et financier depuis la même époque.

Elles ont connu un très fort développement (en nombre d’initiatives) au moment de la sortie du film « Demain » de Cyril Dion, qui évoque notamment l’initiative du Bristol Pound. La loi oblige à ce qu’elle soit gérée par des structures de l’ESS. Aujourd’hui, sur les 80 monnaies locales actives ou en sommeil en France, ce sont 100% des initiatives associatives.

Mais techniquement, ça pourrait être des coopératives, notamment des SCICs. Aujourd’hui, la France est le pays qui compte le plus d’associations de monnaies locales. 80 associations, dont à peu près 70 qui sont actives, d’autres qui sont plus ou moins en sommeil ou en construction.

On peut citer par exemple la pive qui correspond à l’ensemble de l’ancienne région Franche-Comté. La plupart du temps, la monnaie locale prend action sur l’échelle d’un département ou d’une métropole un peu élargie avec les campagnes environnantes. Le but, c’est d’avoir un territoire avec un vrai bassin de vie économique où il y a un sens, un projet de territoire qui se crée là-dessus. 

On crée de nouveaux espaces de citoyenneté, avec d’abord une dimension d’éducation à la citoyenneté économique. La monnaie a un rôle dans la transition. Il y a un vrai travail d’éducation populaire à faire pour démocratiser les monnaies alternatives. Quand je parle d’éducation populaire, ça peut être des réunions publiques, ça peut être des travaux de vulgarisation, ça peut être des ateliers. On a une fresque de la monnaie. À peu près 40 000 personnes sont sensibilisées chaque année via les associations de monnaie locale. 

Les monnaies alternatives permettent le développement de la démocratie, ce qui me semble un point fort. Les monnaies locales se créent à travers d’association, et non pas de façon arbitraire par les décisionnaires bancaires. Deuxièmement, elles permettent le développement des solidarités, avec un soutien souvent entre les adhérents, notamment entre adhérents professionnels.

Je vais citer l’exemple qu’on cite le plus souvent parce qu’il est assez simple à expliquer. La Dôme, dans le Puy-de-Dôme, avait un certain nombre de microbrasseries qui prenaient la Dôme et qui n’avaient pas de débouchés. Et un travail a été fait pour trouver des débouchés.

On leur a demandé ce qu’ils leur manquaient. Ils leur manquaient une malterie et ils leur manquaient un système de consignes. Pour les deux, ils sont allés voir la CCI, mais ils se trouvaient qu’il y avait une malterie qui voulait s’installer dans le Puy-de-Dôme.

Donc là, ils ont été mis en relation. La malterie a adhéré en ayant tout de suite un réseau de clients, ce qui a permis à la malterie de se lancer et aux microbrasseries de découler leur Dôme. Pour la consigne, il n’y avait pas de projet en cours.

Un travail a été fait avec l’université pour faire une étude de faisabilité. Puis, une CIC a été créée pour créer ce système de consignes qui, maintenant, fonctionne. On peut vraiment créer des filières.

Pour la même durée, si j’injecte 1 000 monnaies locales, j’aurai une création de valeur supérieure à 2 000 €, alors que si j’injecte le même montant en euros, ça va être de l’ordre de 1 300 à 1 600, donc à peu près 1,25 à 1,55 pour moi. Donc, on enrichit l’économie locale, on la dynamise. Et surtout, on assiste à un renforcement de l’économie réelle plutôt que de l’économie spéculative. On achète directement à des commerces locaux. Ça ne passe pas par Amazon, par des choses déjà loin, qui sont à distance. Ça ne passe pas non plus. L’argent n’est plus dans les banques. L’argent du fonds de garantie qui pouvait éventuellement être sur une banque qui finance plutôt la spéculation va directement dans les investissements locaux. Et des plus-values pour les membres du réseau. On a vu qu’il y avait une augmentation des chiffres d’affaires de l’ordre de 8 à 12 % sur les commerçants adhérents. Et tout ça est renforcé actuellement par la digitalisation qui permet aux professionnels de garder plus longtemps la monnaie, sachant que sur les 70 monnaies actives, il doit y avoir un peu moins de la moitié qui sont digitalisées à ce jour.

Et beaucoup de monnaies travaillent aussi sur le tourisme local avec des possibilités pour les touristes d’avoir des adhésions ponctuelles et la mise en valeur de certains commerçants et lieux culturels là-dessus. C’est un véritable maillage d’acteurs au service de la transition. Donc, là-dessus, c’est que tous les adhérents soutiennent la transition.

Le rôle de la monnaie locale, c’est une l’animation d’un réseau de personnes qui partagent aussi des valeurs. Et ensuite, on peut aller plus loin avec des dynamiques plus proactives de la part des associations de monnaie locale. Et là, je vais prendre l’exemple du 3% associatif, 3% ASSO, qui est porté notamment par l’Eusko à la plus grande échelle, mais qui est porté par d’autres monnaies locales.

En fait, lorsque les adhérents prennent la monnaie, 3% de ce qui est converti sur monnaie électronique peut être reversé à des associations qui le parrainent. Donc, il faut que 30 adhérents minimum soutiennent une association de la zone du Pays Basque Nord pour qu’elle puisse rentrer dans le système. Et ensuite, 3% des euros convertis en Eusko vont à l’association à la fin de l’année. En 2020, il y avait déjà plus de 130 000 euros qui avaient été versés à des associations. Je n’ai pas les chiffres pour 2023. Mais en tout cas, ça augmente chaque année.

C’est financé par les taux de commission des quelques commerçants qui reconvertissent, parce qu’il y a un taux de conversion assez élevé, je crois de l’ordre de 5%. Mais d’autres monnaies locales peuvent pratiquer le même système, soit avec l’aide de subventions publiques ou autres. Mais en tout cas, c’est vraiment l’idée qu’à partir du moment où on rentre dans la monnaie locale, on veut aussi soutenir les associations locales.

On peut aller plus loin. Ensuite, des liens avec les collectivités et les monnaies locales sur les politiques. 

Ça peut être des bonifications sur le change. Ça peut être des aides lorsqu’il y a des bonnes actions, si on veut trier son verre, etc. Et le point important, et qui est peut-être le point vraiment à développer et pourquoi il pourrait être important aujourd’hui que les monnaies locales rentrent vraiment dans les financements autour de l’opération Milliard, c’est que toutes ces valeurs et tous ces impacts qui sont totalement liés à ce que fait l’ESS, pour que ça marche, il faut renforcer le réseau. Et aujourd’hui, on a 22% des membres qui sont des structures de l’ESS, ce qui nous semble relativement peu par rapport au fait que les monnaies locales sont un amplificateur des impacts de l’ESS. Et donc, il y a des synergies vraiment à construire en adhérant plus ou en se rencontrant, en mettant en valeur, en en vendant des partenariats, parce qu’il y a des structures qui vont peut-être être nationales et du coup, ça sera peut-être d’autres types de partenariats. On a plusieurs licornes qui sont actives, donc on n’est pas non plus complètement en dehors. Mais pour nous, il y a un grand travail de synergie à construire entre les monnaies locales et les acteurs de la transition. 

Si vous voulez en savoir plus, il y a le site internet du Mouvement SOL où vous trouverez aussi les liens vers la note qui a été faite avec le labo de l’ESS sur comment les monnaies locales peuvent être un levier de la transition écologique juste et à notre étude d’impact si vous voulez avoir un peu plus de détails sur les sujets qu’évidemment, on ne peut pas trop résumer en une heure. Merci.